D’accord, pas d’accord,
Rencontre avec des femmes musulmanes de Grenoble qui s’organisent
avec :
– des représentantes du Collectif des femmes voilées et libres de l’Alliance citoyenne de Grenoble
– Léa et Adrien organisateur/trice à l’Alliance citoyenne de Grenoble
Depuis juillet 2018, avec une pétition, des mois de mobilisation puis en juin 2019 des opérations de désobéissance civile, des femmes de Grenoble se sont organisées pour dénoncer l’interdiction discriminatoire qui leur est faite de venir à la piscine avec des maillots couvrants (que certains appellent burkini). Au-delà, elles revendiquent « la liberté de se vêtir, le droit d’être des citoyennes françaises avec les mêmes droits et devoirs, le respect de chacun.e et la possibilité pour toutes de participer à la vie de notre société »(voir texte ci-dessous).
Les médias en ont beaucoup parlé. Mais qu’en disent les premières concernées ? A l’occasion de leur travail avec la compagnie du théâtre de l’opprimé NAJE, venez les écouter et échanger avec elle.
Organisé par l’Alliance citoyenne, la Maison Ouverte.
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Au nom de la République, nous voulons l’égalité et la liberté pour toutes
Nos deux baignades en maillot couvrant au nom des droits civiques des femmes musulmanes ont fait couler beaucoup d’encre. Un certain nombre de personnes estiment que nous ne sommes pas capables de penser par nous-mêmes. D’autres n’hésitent pas à déformer notre combat et à désinformer, évoquant une manipulation des islamistes. Nous nous mobilisons et écrivons aujourd’hui pour prendre part au débat démocratique, rétablir la vérité sur nos intentions et sur la chronologie des faits.
Trop d’entre nous se sont déjà fait sortir de l’eau, sur la plage, dans des piscines municipales, dans des villages vacances. Quand elles subissent cette humiliation, c’est nous toutes qui sommes humiliées. Depuis que nous sommes ensemble, nous avons décidé de ne plus jamais être humiliées. Nous voulons être libres de nous baigner en maillot couvrant, au nom de la liberté de toutes les femmes de s’habiller comme elles veulent. Nous revendiquons notre choix, comme c’est le choix d’autres personnes de s’habiller en short, en mini-jupe, ou peu importe. Un choix personnel et intime, qu’on porte ce maillot par pudeur ou par convictions religieuses. Nous le voulons au nom de la défense de l’accès aux services publics de tout.e.s. Nous voulons la liberté, l’égalité, le respect, le droit d’habiter la ville en accédant aux équipements publics. Ce que nous voulons tout simplement, c’est se baigner, nager, accompagner nos enfants à la piscine et les surveiller, profiter de l’eau en famille, ou seules.
Aujourd’hui encore, des Grenobloises ne peuvent profiter des piscines municipales parce que le Maire refuse de changer le règlement intérieur des piscines, et d’accepter un maillot qui, pourtant, respecte les normes d’hygiène, la sécurité, ainsi que la laïcité. Un maillot qui, pourtant, est autorisé dans d’autres pays de libertés, comme l’Espagne, l’Angleterre, l’Italie, les Etats-Unis ou l’Allemagne.
Trop de médias, d’hommes et de femmes politiques nous font passer pour des islamistes, disqualifiant notre parole. Or, si beaucoup d’entre nous veulent se baigner en maillot couvrant par pudeur, pour des convictions personnelles ou religieuses, ce n’est pas ce que pensent tout.e.s les musulman.e.s. D’ailleurs, le burkini n’est pas prescrit par la religion : nager au milieu d’autres personnes en partie dénudées, avoir le corps moulé par notre maillot en sortant de l’eau, autant de choses mal vues par certain.e.s musulman.e.s. Nous ne parlons pas au nom de l’Islam, mais au nom des droits des femmes, de toutes les femmes.
Trop de personnes affirment que nous sommes soumises à l’« homme musulman ». Si nous l’étions vraiment, nous ne lutterions pas pour nos droits, nous ne nous organiserions pas, celles qui se sont baignées n’auraient pas désobéi à un règlement injuste et risqué de s’exposer médiatiquement. Ce combat prouve bien que nous sommes des femmes libres. Nous vivons une double injonction. D’un côté certains hommes musulmans, pour lesquels la femme n’a pas sa place à la piscine mais à la maison. De l’autre, celles et ceux qui veulent nous faire disparaître de l’espace public au nom de valeurs qu’ils qualifient de « républicaines ». Nous ne voulons pas être soumises aux hommes, musulmans ou non. Nous ne voulons pas non plus être soumises à des lois discriminantes et sexistes qui dictent comment nous devrions nous habiller. Au nom de notre liberté, nous refusons des règles injustes et discriminatoires qui nous excluent de la citoyenneté. Comment peut-on se dire féministe tout en refusant d’écouter des femmes et en leur imposant un vêtement quelconque ?
Trop de médias nous ont fait passer pour des personnes violentes. Or, les deux baignades se sont toujours déroulées sans violence, dans la bonne humeur, certaines personnes n’hésitant pas à soutenir le mouvement sur place. La violence, c’est celle véhiculée par la présence de trois cars de CRS, attendant les femmes qui se sont baignées le 23 juin à la sortie de la piscine. La violence, c’est
l’exclusion des piscines de celles-ci, pour deux mois. La violence, ce sont les lettres de menaces que certaines ont reçu et les insultes sur les réseaux sociaux à leur encontre. Aujourd’hui encore, certaines femmes ont peur de faire valoir leurs droits, car elles ont peur des représailles et des conséquences sur leurs familles. Curieuse façon de promouvoir la liberté des femmes.
Le Maire de Grenoble a qualifié nos actions de désobéissance civile de « stratégie du buzz ». Nous lui avons pourtant tendu la main à plusieurs reprises, depuis plus d’un an maintenant, dans une démarche citoyenne de long terme, qui a commencé par une pétition de 620 signataires qui lui fût transmise en juillet 2018, demandant déjà le changement du règlement des piscines. Le 17 septembre 2018, nous avons rencontré plusieurs représentant.e.s de la Mairie. L’échange fût constructif, nos interlocuteurs reconnaissant qu’un règlement intérieur pouvait être modifié et que la demande méritait d’être étudiée sérieusement. Après cette réunion, nous avons relancé le cabinet à de multiples reprises. Sans réponse.
C’est ce silence – perçu comme du mépris – qui a obligé certaines d’entre nous, en dernier recours, à passer par la désobéissance civile non-violente, en allant se baigner en maillot couvrant le 17 mai 2019. Juste après, nous avons obtenu un rendez-vous avec la Mairie. Celui-ci ne fût qu’une parodie de dialogue. Au lieu d’écouter les porte-paroles, de discuter de leurs propositions pour résoudre un problème complexe et chercher des solutions, nos interlocuteurs ont lu un communiqué affirmant que la Mairie ne changera pas le règlement. Pire, les participantes se sont senties insultées par les propos de l’adjoint aux Sports, Sadok Bouzaiene, qui a affirmé, ce jour-là, « la discrimination n’est pas de notre part, c’est votre volonté d’être différente ». C’est pendant l’assemblée de l’Alliance citoyenne du 16 juin 2019, à laquelle nous avions invité l’équipe municipale, qui ne nous répondit pas, que fût décidée la baignade du 23 juin qui a tant fait parler.
Nous invitons ici Monsieur le Maire à prendre la main que nous lui tendons, pour avoir, sur ce sujet comme sur d’autres, un « temps d’avance ». Aux autres qui ne jugent notre mouvement qu’à l’aune de ce qu’ils entendent ou lisent, vous pouvez venir à notre rencontre, nous poser des questions. Nous sommes des femmes qui revendiquons notre liberté de se vêtir comme nous l’entendons. Nous n’avons qu’un désir : être des citoyennes françaises avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que tout.e.s, le respect de chacun.e et la possibilité pour toutes de participer à la vie de notre société.
Alliance citoyenne pour les droits civiques